Chapitre 5 : L'autre
Lassé de ces délires puérils, je m'abandonnai à ce sentiment de folie. Tôt au tard je comprendrais ce qui m'arrivais. J'humais l'air, il m'apparut frais, agréable, de magnifiques odeurs parfumées emplissaient mes narines et exaltaient mon odorat, des arômes délicieux, quelques senteurs de chair excise et de repas copieux en perspective. Cette exhalaison ravissait mon estomac et emmena l'appel de la faim. J'ignorais depuis combien de temps je n'avais savouré un repas, mais une chose était certaine, l'appétit me gagnait et occupait à présent la totalité de mes pensée. Je ne ressentais plus la peur ni la haine, juste une faim inassouvie qui me languissait le ventre.
Une voie éraillé m'interpella. Je me retournais sous l'emprise d'une soudaine et inexplicable apathie. Une silhouette d'homme se tenait adossé à un mur, il m'observais avec insistance. Encapuchonné et vêtu amplement tel qu'il était, je ne parvenais pas juger de l'âge ni de l'aspect général de l'humain. "Que fait un si jeune homme dehors en pleine nuit ? Tu vas attraper froid voyons, rentre chez toi!" Au timbre de sa voix, je devinais les trait d'un homme âgé, souffreteux, las et fatigué, probablement un sans-logis des environs. L'inanition qui me tenait au tripes depuis un moment me rendit mal a l'aise. Je ne parvenais plus a contrôler ma faim. Mon regard se fixa sur la peau de l'individu, j'imaginais sa viande tendre et onctueuse quoi que légèrement défraichie. Je ressentais le sang couler à l'intérieur de ses veines et mouvoir à chacune des pulsions instables de son cœur. Puis j'écoutais, chaque battement de cet organe, se répéter jusqu'à devenir plus rapide, plus précipité. La personne était visiblement dans l'appréhension à mon égard, la panique se fessait ressentir dans son pouls. Comme une proie laissé en pâture à un prédateur, épouvanté et terrifié par l'arrivée de sa mort inévitable. Du sommet de ma langue je caressais langoureusement mes dents, puis mes lèvres. La figure incrédule et angoissé de l'homme me ramena à la conscience. J'avais le sentiment d'être de plus en plus victime de démence, je n'adoptais plus un comportement naturel.
Un long frisson me parcouru, des torrents de pensées envahissaient mon esprits, je ne savais que faire, je me mis à courir, hâtivement, plus vite que jamais. Tout au long de ma course, je fut étonné de la vitesse à laquelle je voyais les arbres se succéder. Je ne pouvais me résoudre à me dire que c'était moi qui courait vite. Je n'éprouvais pourtant aucune fatigue. Lorsque je fus assez loin de la ville, je m'arrêta. Je n'osais pas penser. J'avais de nouveau peur. J'entendis un léger bruit. Ou plutôt un son long grave, presque imperceptible. Un grognement. Il ne venait pas de derrière moi … il venait de ma tête. Voilà que je me mettais à entendre des voix? Et puis ce fut une phrase, simple et directe. Elle venait des tréfonds de mon esprit, elle résonnait, roulait les "r", graves, d'une tonalité rocailleuse. "Laisse moi sortir".
Je regardais autour de moi, personne, juste la forêt. A nouveau j'étais délaissé, seul, isolé en ces bois. Je parvenais toujours a percer l'obscurité avec tant de facilité, comme en plein jour je discernait le moindre élément qui m'entourait avec nuance et précision. Le silence qui régnait en ces lieux me rassura, j'en venais presque à oublier ma déraison. Pourtant, j'étais sûr de l'avoir entendu, cette voix qui venait de fin fond de ma pensée. L'impuissance devant ces phénomènes inconcevable, la salive qui remontait depuis mon estomac, la mort de mes parents sur la conscience, l'énergie trop volumineuse que mon corps esclave de la folie dégageait, je criais, je hurlais à en faire souffrir mes poumons et à recouvrir la totalité de mon souffle.